La nécropole celtique de Bouqueval et ses 2 tombes à char

 

A une vingtaine de kilomètres au nord de Paris, la commune de Bouqueval correspond à un important site de La Tène moyenne (III e s. et II e s. av. J.-C.) où se trouvent associés un habitat et une nécropole comprenant 14 sépultures dont deux tombes à char. Celles-ci, datées entre le milieu du IIIe s. et le début du II e s., renfermaient les corps d’un(e) adolescent(e) et d’une jeune femme.

La découverte de la nécropole de Bouqueval s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme de recherche, élaboré et réalisé dès 1961 par l’association « Jeunesse Préhistorique et Géologique de France » dans la région nord de Paris, et plus particulièrement dans l’ancien Pays de France.

Une campagne de fouilles fut effectuée du 15 août au 30 septembre 1978 par une équipe d’archéologues bénévoles de la section J.P.G.F. de Villiers-le-Bel. Cette intervention permit le sauvetage et l’étude de 13 sépultures, menacées de destruction par un sous-solage prévu sur un secteur de la nécropole l’hiver suivant.

La nécropole est située sur le rebord sud d’un vaste plateau, dominant une vallée encaissée orientée nord-ouest/ sud-est. Cette vallée correspond à un ancien lit de rivière, affluent du Crould la « Daubée ». Implantée sur un léger vallonnement, la nécropole est exposée au sud-est et au sud.

Photo aérienne à l’infrarouge faisant apparaître un enclos/fossé rectangulaire sur une partie de la nécropole.
Le point blanc marque l’emplacement de la tombe n°1.

Le nom de lieu-dit le plus ancien correspondant au site de la nécropole et figurant sur un plan terrier levé en 1785, est « Fossé à deux Guëulle ».

Une intervention ponctuelle de sauvetage effectuée en avril 1977 fut à l’origine de la découverte d’une première sépulture (tombe no 1). La campagne de fouilles réalisée en août et septembre 1978 sur un secteur menacé de la nécropole permit, grâce à un décapage de surface de 300 m2, la mise en évidence de 13 inhumations réparties autour de la tombe no 1.

Bracelet en bronze issu de la fouille de la nécropole de Bouqueval

Bracelet en bronze issu de la fouille de la nécropole de Bouqueval

Les 14 sépultures étudiées ont été classées de la façon suivante : Huit inhumations « simples » (tombes nos 2, 4, 5, 7, 8, 9, 10 et 12). Il s’agit de sépultures d’adultes et d’enfants inhumés dans des fosses rectangulaires aux angles arrondis, dont le mobilier funéraire se limitait essentiellement à une ou deux fibules en fer, sans aucun objet ou aménagement particulier pouvant constituer l’indice d’une stratification sociale : une sépulture à encagement latéral (tombe no 1), dont la niche contenait les deux seules céramiques découvertes dans la nécropole ; une tombe constituée d’un coffre de pierres, sans mobilier funéraire (tombe no 14) ; deux sépultures de guerriers (tombes nos 6 et 13), dont l’abondant mobilier est constitué d’armes et d’objets de parure ; deux tombes à char (nos 3 et 11), contenant un mobilier exceptionnel.

L’étude exhaustive de la nécropole de Bouqueval et des sépultures a été publiée dans la revue annuelle n° 8 de l’association J.P.G.F. (décembre 1984).

Tombe à char n°3, avec les éléments de harnachement des deux chevaux déposés sur le corps de la défunte

Tombe à char n°3, avec les éléments de harnachement des deux chevaux déposés sur le corps de la défunte

 

La sépulture d’un(e) adolescent(e) d’une quinzaine d’années

La sépulture no 3 est celle d’un jeune (garçon ou fille) inhumé sur la caisse d’un char dans une très grande fosse de plan rectangulaire aux angles arrondis, orientée nord-nord-est/ sud-sud-ouest. Elle était située au sud-ouest du secteur de la nécropole fouillé en 1978. La tombe a été creusée dans un sédiment sablonneux de couleur brune (sables de Mortefontaine) au contact d’une dalle de calcaire de Ducy épaisse de 10 à 20 cm, puis dans un banc de sable beige très clair (horizon d’EzanvilIe) constituant le niveau inférieur de la fosse.

La dalle de calcaire a été traversée par les fossoyeurs pour former une cavité à peu près rectangulaire de 1,50 x 1 m sur laquelle a été placée la caisse du char avec le défunt et la plus forte concentration du mobilier funéraire. Les roues démontées ont été déposées à plat latéralement sur les côtés de la caisse et les clavettes d’essieux ont été placées dans les angles nord-ouest et nord-est de la fosse.

Malgré la disparition de nombreux ossements dissous par l’acidité du sol, la connexion anatomique était encore nette et bien visible : le squelette était orienté nord-nord-est/sud-sud/ouest, la tête au sud-sud-ouest. La position du corps était en décubitus dorsal, la face tournée vers l’est, l’humérus et le radius gauches allongés le long du corps, et les membres inférieurs allongés l’un contre l’autre. D’après la disposition de deux bracelets, il est permis de supposer qu’ils étaient enfilés sur l’avant-bras droit et que la main droite reposait sur la région ombilicale ou l’hypogastre. L’individu inhumé était un adolescent, âgé probablement de 13 à 15 ans, dont le sexe et la stature sont indéterminables.

Le défunt était allongé sur la caisse du char placée au centre de la fosse, le mobilier funéraire était essentiellement disposé sur sa droite le long de la partie inférieure du corps, à partir du niveau du bassin et jusqu’aux pieds de façon relativement groupée.

Deux fibules en fer ont été retrouvées au niveau de l’épaule gauche du défunt, entre les vertèbres cervicales et l’épiphyse de l’humérus, sur l’emplacement présumé de la clavicule. L’une, bien qu’incomplète, pourrait être attribuée à La Tène II-a, l’autre au milieu ou à la seconde moitié du III e s. av. J.-C.

Phalère en bronze à décor anthropomorphe de la nécropole de Bouqueval

Phalère en bronze à décor anthropomorphe de la nécropole de Bouqueval

Un accessoire vestimentaire singulier a été retrouvé au niveau du cou du défunt. L’objet se présente sous la forme d’une petite coupelle concave, au rebord mouluré souligné d’une cannelure interne ; il comporte au centre un cabochon hémisphérique, décoré d’un motif anthropomorphe de style plastique en fort relief. Le dos est pourvu d’une patte de fixation rectangulaire, perforée au centre de son extrémité arrondie.

 

Détail du bracelet en bronze de la nécropole de Bouqueval

Détail du bracelet en bronze de la nécropole de Bouqueval

Cet objet de parure est en bronze, fondu à la cire perdue, puis repris à l’outil par le bronzier. Il servait probablement à fermer un vêtement ou un collier en cuir au niveau de la gorge du défunt. Deux bracelets, l’un en lignite et l’autre en bronze, étaient enfilés sur l’avant-bras droit du défunt ; le bracelet en lignite était placé en seconde position, vers la main. Le bracelet en bronze présente un décor plastique très élaboré : l’anneau comporte 24 motifs trilobés en fort relief, séparés par des bossettes transversales ornées de fines ciselures.

Phalères et accessoires de parure en bronze (bossette, anneau et clou)

Phalères et accessoires de parure en bronze (bossette, anneau et clou)

L’essentiel des accessoires de parure découverts dans la sépulture est constitué par une série de douze phalères en bronze. La répartition spatiale des phalères dans la sépulture, sur une assez large surface englobant le squelette et leur disposition particulière, permettent de présumer qu’elles étaient fixées sur une pièce de cuir qui recouvrait le défunt au moment de l’inhumation. Cette pièce de cuir pouvait être un vêtement, manteau ou cape, ou plus vraisemblablement une garniture du char funéraire : tablier ou dais.

 

La sépulture contenait également une bossette en bronze qui était probablement fixée sur la même pièce de cuir que les phalères ; un anneau plein en bronze moulé qui portait encore sur sa patine la trace d’une lanière en cuir attachée latéralement ; et un clou situé à 20 cm sur la droite des jambes du défunt, à hauteur des tibias. La disposition du clou et la longueur de sa pointe (30 mm) permettent de présumer qu’il était fiché dans la caisse du char, dont il constitue probablement un des éléments décoratifs sinon fonctionnel. Un élément de crémaillère, dont la présence est pour le moins singulière dans une tombe à char, était disposé transversalement sur la cuisse droite du défunt. La présence de cet instrument domestique parmi le mobilier de la sépulture pose un problème d’interprétation : s’agit-il d’un dépôt symbolique ou bien d’un objet utilisé pour une raison pratique qui nous échappe lors de l’inhumation ?

Une paire de mors de bridon en fer était déposée à 15 et 30 cm sur la droite du défunt, au niveau du bassin, près de l’élément de crémaillère.

Mors de bridon (fer), fragment de bandage de roue et élément de crémaillère (fer) de la nécropole de Bouqueval

Mors de bridon (fer), fragment de bandage de roue et élément de crémaillère (fer) de la nécropole de Bouqueval

La plus grande partie du char était fabriquée avec des matériaux légers et périssables : planches et pièces de bois, osier probablement tressé, garnitures de cuir voire même de tissu, qui ont entièrement disparu excepté quelques rares vestiges conservés par l’oxydation des pièces métalliques avec lesquelles ils étaient en contact. Seules subsistent les garnitures métalliques du char, qui sont constituées par les clavettes d’essieux, les bandages de roues et par quelques pièces de fer très corrodées, trop souvent non identifiables.

La position des clavettes dans la tombe, celle du bandage de roue et l’absence de tranchées latérales dans la fosse permettent d’établir que les roues du char avaient été démontées au moment de l’inhumation. Les clavettes d’essieux sont quasiment identiques : la tige et la tête sont en fer, la tête est habillée avec un boitier en bronze rectangulaire qui enveloppe toute la face externe et les quatre côtés, mais borde simplement la face interne. Le boitier en tôle de bronze est mouluré sur la face externe et les côtés, les moulurations sont soulignées par une cannelure assez profonde. La tige, de section carrée, est fortement courbée à sa partie inférieure, son extrémité est sertie dans une boule de bronze décorée d’un collier et d’une cannelure au niveau de l’emboîture ; ces boules terminales présentent un méplat sur la face interne des clavettes. Un seul fragment de bandage de roue a été retrouvé dans la tombe, le second bandage ayant probablement été arraché en totalité par le soc d’un instrument aratoire aratoire. La largeur, la grande robustesse de cette pièce, ainsi qu’un léger refoulé latéral provoqué par l’usure constituent autant d’éléments qui indiquent une utilisation fonctionnelle antérieure du char et non un véhicule fabriqué uniquement pour la cérémonie funéraire. Par ailleurs, l’absence de clous et une courbure interne latérale permettent de présumer que ce bandage a été monté sur la roue par la technique du châtrage.

Huit petits objets en fer très corrodés ont été retrouvés autour du squelette et sous celui-ci, sur l’emplacement de la caisse du char qui était matérialisé par une fine couche sombre assez régulière. Toutes ces pièces étaient manifestement fixées sur la caisse du char et des vestiges de bois sont encore conservés par l’oxydation sur la plupart d’entre elles ; leur analyse a permis d’en déterminer l’essence : il s’agit de frêne.

Différents critères typologiques et chronologiques nous autorisent à placer la datation de cette tombe à char vers la fin du III e.

 

Une jeune femme inhumée sur un char

La sépulture no 11 est celle d’une jeune femme inhumée sur un char dans une très grande fosse de plan ovalaire, orientée nord-ouest/ sud-est. Cette sépulture était située au sud-est du secteur de la nécropole fouillé en 1978, à proximité des tombes de guerriers ; elle était quasiment contiguë à la sépulture no 12 et présente la même orientation que cette dernière. Le corps de la défunte était allongé au milieu de la caisse du char.

Tombe à char n° 11, avec les roues placées dans des tranchées latérales

Tombe à char n° 11, avec les roues placées dans des tranchées latérales

A la différence de la tombe no 3, les roues du char n’ont pas été démontées. Deux tranchées latérales parallèles, profondes de 0,48 m, ont été creusées de chaque côté de la tombe de manière à recevoir la moitié inférieure des roues, l’essieu et la caisse du char reposant ainsi sur le fond de la fosse. Un bandage de roue complet, ployé, et un fragment du second ont été retrouvés en place dans les tranchées, permettant de déterminer l’écartement des roues du char avec précision : 1,55 m.

 

La fosse était très peu profonde, les éléments de la caisse du char et le squelette n’ont été retrouvés qu’à 42 cm de la surface du sol actuel. Ce très faible enfouissement est la cause d’un bouleversement important de la sépulture par les socs des engins aratoires qui ont arraché et fait disparaître une grande partie du mobilier. Cependant, nous avons eu la chance de retrouver un des côtés du char épargné par les labours et assez bien conservé, ses garnitures métalliques encore en place nous ont procuré de précieuses données sur la structure du véhicule. Il ne subsistait du squelette que le crâne, éclaté en onze fragments, dix dents associées avec trois fragments du maxillaire supérieur et de la mandibule, et deux fragments d’os long attribuables à l’un des tibias. L’essentiel du mobilier a été retrouvé groupé autour du squelette et sur l’emplacement de la caisse du véhicule.

Tombe à char n° 11: Fibule en fer et éléments décoratifs en bronze

Tombe à char n° 11: Fibule en fer et éléments décoratifs en bronze

Aucun bijou n’a été découvert dans cette sépulture ; le seul accessoire vestimentaire qui a été retrouvé sur les restes du corps est une fibule en fer, située à l’emplacement présumé de la clavicule droite. L’examen à la loupe binoculaire révèle la présence de fibres tissées sous le ressort et sur l’ardillon. Typologiquement, cette fibule est attribuable au début de La Tène II-a (milieu et seconde moitié du IIIe s.).

Une cornière en bronze ajourée a été retrouvée cassée en deux morceaux, probablement par un soc d’instrument aratoire ; elle était située sur la droite du squelette, au niveau présumé du bassin.

Trois clous entièrement en bronze, têtes et pointes, ont été retrouvés groupés au niveau du cou et de l’épaule gauche du défunt ; une pointe en bronze cassée, découverte dans le même contexte; appartient très probablement à un quatrième clou dont la tête a disparu. La fragilité de ces clous implique une fonction surtout décorative, mais la longueur des pointes (20 mm) permet de présumer qu’ils étaient fichés dans la caisse du char. Peut-être étaient-ils utilisés pour fixer une pièce de cuir ou d’étoffe, une sorte d’oreiller, sur lequel reposait la tête du défunt ; la disposition des trois clous et de la pointe près du crâne et des vertèbres cervicales permet de formuler cette hypothèse. Quatre anneaux en fer étaient fixés latéralement et à l’opposite sur la caisse du char. Leur fonction reste encore à déterminer : servaient-ils de pièces d’arrimage pour les sangles d’une bâche ou d’un dais, pour assujettir des montants latéraux en bois ou en osier ? Une fiche à anneau en fer a été retrouvée entre le squelette et le bandage de roue complet, près de l’essieu et dans l’alignement des anneaux latéraux fixés sur le côté gauche de la caisse du char. Ce type de pièce, dénommé « fiche à anneau » est bien connu dans le mobilier des tombes à char de La Tène Ancienne.

Clavettes d'essieux en bronze et en fer de la nécropole de Bouqueval

Clavettes d’essieux en bronze et en fer de la nécropole de Bouqueval

La clavette d’essieu a été retrouvée « en place », à l’extrémité de la garniture de stabilisation de l’essieu, au centre du bandage de roue, avec une petite patte en fer courbe vraisemblablement utilisée comme cale. Une garniture de stabilisation de l’essieu a été découverte également « en place » disposée perpendiculairement à la caisse du char et à la roue gauche ; sur son extrémité, située transversalement au centre du bandage, reposaient la clavette d’essieu et la patte courbe. Ces garnitures étaient fixées sous chaque extrémité de l’essieu et servaient à le renforcer au niveau des moyeux, évitant ainsi une usure rapide de l’axe et limitant les risques de fracture. Nous n’avons pas retrouvé de frette de moyeu parmi les garnitures métalliques de la moitié gauche du char, qui constituent pourtant un ensemble d’éléments complet et encore en connexion ; ce qui permet de présumer que les frettes étaient en cuir.

Tombe à char n° 11 : Barre de stabilisation d'essieu, clavette et éléments divers

Tombe à char n° 11 : Barre de stabilisation d’essieu, clavette et éléments divers

 

Des témoins de la progression de la civilisation celtique

L’étude typologique des fibules découvertes dans la quasi totalité des sépultures, celle de l’armement retrouvé dans les tombes de guerriers et celle du mobilier des tombes à char nous permettent d’effectuer un classement chronologique des 14 sépultures mises au jour dans le secteur de la nécropole fouillé en 1978. La première constatation qui ressort de cette étude est l’homogénéité culturelle évidente des sépultures, qui appartiennent toutes à La Tène Moyenne et plus précisément aux périodes de La Tène II-a et du début de La Tène II-b.

Deux individus ont eu le privilège insigne d’être inhumés sur un char : un enfant (ou un très jeune adolescent) et une jeune femme. La présence d’une tombe à char « féminine » à Bouqueval apporte une lumière nouvelle sur ce type d’inhumation.

La présence des tombes à char dans la nécropole confirme bien la stratification sociale de cette communauté et l’appartenance des individus qui ont bénéficié de ces inhumations à une classe aristocratique.

La fin de La Tène Ancienne et surtout le début de La Tène II marquent une expansion de la civilisation celtique dans le Bassin parisien. Selon Paul Marie Duval, l’une des deux branches de la peuplade des Parisii, venue d’outre-Rhin, dut s’installer dans notre région vers le milieu du IIIe s.

Les premières données procurées par la fouille de la nécropole font apparaître une société très hiérarchisée, avec à sa tête une aristocratie ou une caste de « chefs », bénéficiant avec leur famille de l’inhumation en char accompagnée d’un riche mobilier de parure qui les distinguait ainsi nettement de l’ensemble de leurs contemporains. Cette société était militarisée, comme l’attestent les sépultures de guerriers inhumés avec leur armement, signe de leur rang social particulier. Quant au reste de la population, hommes, femmes et enfants, rien ne signalait dans leur sépulture le rôle et la place qu’ils occupaient dans la société.

En conclusion, les informations procurées par la fouille partielle de la nécropole de Bouqueval et l’étude anthropologique des quatorze sépultures actuellement mises au jour constituent un approfondissement de nos connaissances concernant la période de La Tène Moyenne dans le nord du Parisis.

 

       D’après Rémy GUADAGNIN in La nécropole Celtique de Bouqueval – JPGF 1984.