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L’orgue de l’église Saint-Didier à Villiers-le-Bel, datant de la seconde moitié du XVIIe siècle, est un instrument remarquablement conservé. Le grand buffet de huit pieds, d’une simple et noble ordonnance est à trois tourelles : celle du milieu, la moins haute, est surmontée d’un ange de fière allure sonnant d’une longue trompette. Le positif, rapporté plus tard, n’a que deux tourelles à cinq tuyaux, séparées par une large plate-face qu’occupe une rangée de dix-sept tuyaux.

Des pots à flammes dominent les quatre tourelles latérales.

Le buffet repose sur une tribune en bois, plus étroite à l’origine et antérieure à l’orgue, qui fut élargie par deux fois. Lors de son second élargissement, pour la mise en place du positif, il fallut la faire reposer sur les colonnes actuelles (qui rappellent celles du retable du maître-autel).

La balustrade de la tribune est ornée de bas-reliefs richement sculptés, antérieurs à 1620, qui représentent, d’après le récit de Grégoire de Tours, la vie de saint Didier, évêque de Langres et patron du donateur de l’orgue.

Voici dans quel ordre se succèdent les précieux panneaux

  1. Didier évangélise le peuple de Langres,
  2. La ville est assiégée par Crocus, chef des Vandales ; Didier est sur les remparts,
  3. L’évêque se trouve au milieu des ennemis, entre leur camp et la ville,
  4. Les Barbares entrent dans la ville du haut de la porte principale, le démon se réjouit de leur triomphe,
  5. L’évêque, décapité, porte sa tête au lieu de sa sépulture,
  6. Inhumation de saint Didier.
Panneau sculpté orgue Saint Didier Villiers-le-Bel
Deuxième des six panneaux richement sculptés, antérieurs à 1620, qui racontent la vie de saint Didier, évêque de Langres, d’après Grégoire de Tours. Ici, la ville assiégée par Crocus, chef des Vandales : Didier est sur les remparts.
Panneau sculpté orgue Saint Didier de Villiers-le-Bel 95
Cinquième panneau : l’évêque décapité porte sa tête au lieu de sa sépulture.

 

 

 

 

 

Historique et description de l’orgue

L’histoire de l’orgue n’est connue qu’en très gros (1). On peut lire, dans le bas-côté gauche de la deuxième travée de l’église, une inscription gravée dans la pierre qui rappelle la donation faite par Didier Rahault « en son vivant marchand, qui à la plus grande gloire de Dieu, a donné les orgues de cette église et 50 livres de rente par chacun an pour servir à l’entretien d’icelles ».

Rahault avait en outre fondé à perpétuité un service solennel qui devait être célébré chaque année le lendemain de la fête de sainte Cécile, qu’il considérait comme sa patronne. Pour ce, « 15 solz étaient assurés aux enfants de chœur et 15 solz à l’organiste qui y touchera l’orgue ».

L’instrument est encore là pour attester la générosité de ce pieux marchand et on peut encore lire : « l’an 1664, ce présent buffet d’orgues a été fait par F. et Denis Guibillon, maîtres menuisiers, demeurant en ce lieu » et sous le plafond, la date de l’achèvement « 1665 ». Le positif fut installé cent vingt ans après la mort de Didier Rahault, comme nous l’apprend une autre inscription : « ce positif a été fait en 1789, du temps de M. Luce, prieur de cette paroisse, de M. Letellier, procureur fiscal et organiste ». Une autre nous donne le nom du menuisier, Michel fecit et celui du peintre, Ferry prinxit.

L’orgue possédait déjà à la veille de la Révolution de 1789, semble-t-il, trois claviers et vingt-sept jeux dont voici l’énumération :

Premier clavier positif (4 octaves ut-ré sans le premier ut dièse) :

bourdon 8 nasard 2 2/3 cromorne 8
montre 8 tierce 1 3/5 autbois 8
prestant 4 plein jeu  
doublette 2 trompette 8

Deuxième clavier, grand orgue (4 octaves ut-ré sans le premier ut dièse) :

bourdon 8 nasard 2 2/3 trompette 8
montre 8 tierce 1 3/5 clairon 4
flûte du 2e ut 8 fourniture voix humaine 8
prestant 4 cymbale tremblant doux
doublette 2 grand cornet 5 rgs tremblant fort

Troisième clavier, écho (2 octaves ut-ré)

cornet 5 rgs (2)
Pédale (2 octaves fa-fa)
tirasse du grand orgue
trompette 12

La composition de l’instrument était, apparemment, restée inchangée jusqu’aux travaux entrepris en 1952 par P.-M. Koenig, avec quelques graves atteintes au plan original, voix humaine 8 du grand orgue mise à la place de la trompette 8 du positif ; soubasse 16 au grand orgue à la place de la voix humaine 8. Si on ignore le nom du facteur primitif, diverses inscriptions relevées sur les soufflets et les tuyaux nous apprennent l’intervention en 1751 et 1760 du facteur Deschamps « disciple de M. Collard, maître facteur d’orgues de Paris et de l’abbaye de Saint-Denis », puis, en 1789, de Deschamps fils « élève de Somer » qui refit entièrement la montre du grand orgue, en enfin en 1794, de Somer (Archives départementales de Seine-et-Oise : L. 131, fol. 327 va) , qui ne put arriver à se faire payer de son travail.

Rappelons que le célèbre organiste de Saint-Eustache au début du XIXe siècle, Eloi-Nicolas Miroir (t 1815) venait à Villiers-le-Bel chaque année pour prêter son concours à la célébration de la fête patronale.

En 1885, les frères E. et J. Abbey, chargés d’entreprendre un relevage complet, refirent également la soufflerie.

Le buffet a été décapé en 1958 sans aucune précaution et deux écussons d’armoiries naïvement barbouillés. Le pédalier actuel de 25 notes (ut-ut) qui n’a plus de jeu propre (3) semble être l’ancien retaillé à l’allemande dont la table a été fixée le long de la balustrade de gauche.

Les deux claviers du bas sont une adaptation au ton moderne, apparemment par seul décalage des touches, d’un diapason ancien en si bémol, avec une étendue allant du si (sonnant si bémol) à l’ut 5 (50 notes) . Le troisième, à touches plus minces, a perdu ses basses – ou n’en a jamais eu.

La soufflerie semble avoir été de tout temps, par suite de l’exiguïté de la tribune, reléguée dans le comble nord.

L’orgue a été dans sa totalité classé en 1939.

Cette description succincte n’a d’autre but que de montrer le caractère hautement historique de l’orgue de Villiers-le-Bel, instrument du XVIIIe siècle finissant, qui contient encore la plupart du matériel d’origine et qui constitue un excellent exemple d’orgue de 8 pieds complet de la facture parisienne classique.

Il a d’ailleurs l’incontestable privilège de séduire tous les amateurs de l’orgue français classique qui l’approchent. En voici pour témoignage ce que m’écrivait à son sujet, au lendemain d’une visite récente, une personnalité particulièrement qualifiée, M. Pierre Hardouin, président de l’Association française pour la sauvegarde des orgues anciennes : « Le matériel ancien de cet instrument est à la fois complet (deux demi-jeux seulement ont disparu) et retouché de façon très mineure au XIXe siècle (pas de mise au ton des tuyaux). Il le classe donc au tout premier rang de nos orgues anciennes et devrait le faire estimer à l’égal des plus célèbres. Mais l’alimentation en vent très défectueuse et l’état des tuyaux, dont l’entretien a été trop longtemps négligé, masquent à l’audition une partie de cette valeur.  «  Une remise en état est donc à la fois nécessaire et serait considérable dans ses effets tout en restant assez peu coûteuse. Elle devrait, cependant, être très exigeante dans la minutie et la fidélité à l’ancien, répudiant, en particulier, toute modernisation ou mise au goût du jour. »

 

NOTES ET BIBLIOGRAPHIE

  1. Cf. F. Raugel. Orgues de Seine-et-Oise 1928, réédition sans modification en 1971. Il n’existe, à notre connaissance, aucune archive municipale ou paroissiale concernant l’instrument.
  2. L’orgue des Couperin à l’église Saint-Gervais serait un des rares à posséder un jeu comparable à celui-ci.
  3. Les tuyaux de la trompette de 12, encore conservés, dit-on, dans le comble sud de l’église jusqu’en 1960, ont disparu à l’exception de quelques noyaux et d’un grand pavillon.