Les ateliers meuliers de la vallée de l’Ysieux en Pays de France
Une abondante production antique de meules innovantes en grès de Fosses
Le centre meulier principal couvre plusieurs hectares sur la commune de Bellefontaine, entre Fosses et Luzarches dans le Val-d’Oise. Ce site correspond à la présence de grès tertiaire dit « de Fosses », sur le versant inférieur de la vallée de l’Ysieux. D’autres ateliers ont été découverts en prospection pédestre par la JPGF sur le territoire actuel des communes de Fosses, Bellefontaine et Luzarches. En fait, ces ateliers meuliers, moins étendus, sont associés à des habitats gallo-romains dont un certain nombre sont implantés sur le versant supérieur nord de la vallée de l’Ysieux. Ce versant, constitué par les calcaires sus-jacents au grès de Fosses, est recouvert de limon cultivable. Mais les grès sont présents sous la forme d’éclats et d’ébauches bien relevés lors des prospections. Ces reliquats de fabrication témoignent de la présence antique d’artisans meuliers se fournissant en «grès de Fosses» principalement sur le grand centre d’extraction de Bellefontaine.
Par ailleurs la répartition de certains ateliers de part et d’autre de la grande voie antique est-ouest reliant Meaux, capitale des Meldes, au réseau fluvial à Beaumont-sur-Oise, laisse supposer la volonté d’associer la production des meules avec leur exportation régionale. Effectivement, les meules en grès de Fosses ont été découvertes dans de nombreux sites antiques d’utilisation de moulins manuels. Le plus grand nombre se situe en Ile-de-France, mais des sites plus éloignés tels que Chartres, Amiens et Reims, ainsi que Caen et sans doute Semur-en-Auxois en Morvan, révèlent aussi des meules taillées dans le même grès.
Originalité du grès de Fosses
Le matériau rocheux utilisé dans la vallée de l’Ysieux pour la fabrication des meules est un grès particulier bien identifiable grâce à des inclusions noires et blanches, qui correspondent respectivement à des petits fragments millimétriques voire supra millimétriques de silex de craie et à des petits débris de feldspaths de roches granitiques. Ce grès est issu de la cimentation locale de sables de l’étage yprésien à la base du Tertiaire en Ile-de-France. Deux autres étages de sables tertiaires de grande extension sont bien connus régionalement. Aucun des grès qui s’y développent, grès de Beauchamp ou grès de Fontainebleau, ne présente le faciès original des grès de Fosses. En dehors de la vallée de l’Ysieux, ce grès caractéristique est connu ailleurs au sommet des sables yprésiens, mais seulement dans deux secteurs limités, à proximité de Soissons et de Château-Thierry.
En fait, c’est l’abondance d’ébauches circulaires et de ratés de taille, associés à d’épaisses accumulations d’éclats de taille, qui a permis de mettre en évidence dans la vallée de l’Ysieux, en particulier dans le Parc du Château à Bellefontaine, le cœur de l’activité des artisans meuliers antiques, entre Fosses et Luzarches. Les affleurements de grès de Fosses, qui subsistent aujourd’hui reconnus, sont l’un dans la parcelle de plus de deux hectares dans le Parc du Château, noyé sous d’innombrables éclats de taille, le second se situe à Fosses village sur le flanc nord du chemin reliant Chaumontel à Fosses.
Le grès de Fosses et l’habillage rayonné des meules : un développement conjoint dès le Haut Empire
L’utilisation du grès de Fosses pour la fabrication des meules rotatives manuelles connait un essor spectaculaire dès le Ier siècle ap. J.-C., ce développement va perdurer pendant quatre ou cinq siècles. Le témoignage en est fourni, par les centaines de meules retrouvées sur de nombreuses fouilles archéologiques de sites antiques, en Ile-de-France et au-delà. Antérieurement le grès de Fosses avait été utilisé de manière limitée et conjointement avec d’autres matériaux meuliers : calcaire, poudingue et meulière. Dès le Haut Empire seule la meulière reste utilisée sur certains sites, généralement dominée par le grès de Fosses.
L’adoption massive du grès de Fosses, encore peu utilisé jusqu’alors, s’accompagne d’un profond changement typologique, aussi bien sur la forme générale de la meule supérieure (catillus), que sur l’habillage des surfaces actives de chaque meule, qui équipent les moulins. Le catillus biconcave en grès de Fosses remplace des formes hautes convexes à surface active plane. Ainsi le grès de Fosses est utilisé pour la confection des grandes meules des moulins de type Pompéi.
Par ailleurs les surfaces actives des meules protohistoriques recevaient un habillage simple par piquage. Ce procédé dit «à coup perdu» contraste profondément avec l’habillage dit «raisonné», caractérisé par le rayonnage de la grande majorité des meules en grès de Fosses, à partir du Haut Empire. Aussi bien la conicité, que le rayonnage des surfaces actives, constitue un emprunt technique à une tradition méridionale et manifeste un transfert possible depuis l’Italie du nord ou le sud de la Gaule. Mais le rayonnage se porte aussi sur d’autres matériaux meuliers utilisés en Gaule Belgique (grès grossier des Ardennes) ou dans le nord-est de la Gaule (basalte de l’Eifel).
L’innovation du rayonnage d’origine méditerranéenne se porte ainsi sur des matériaux provenant de centres meuliers d’importance régionale, mais le chemin du transfert technique est sans doute plus complexe. La vallée de l’Ysieux constitue l’un de ces grands centres meuliers, qui adapte les surfaces actives coniques et leur habillage rayonné à un grès particulier très localisé, à la fois géologiquement et géographiquement. Sans écarter d’autres raisons, le choix du grès de Fosses repose sans doute, sur ses qualités mécaniques issues d’une granulométrie homogène et d’une bonne cimentation.
L’extension technologique de l’utilisation du grès de Fosses à la fabrication de moulins de type Pompéi reste la preuve d’un transfert technique ayant suivi les légions romaines à travers la Gaule Celtique et la Gaule Belgique. Plus d’une dizaine de ces moulins ont été retrouvés entiers ou fragmentés dans des chefs-lieux de cité (Lutèce, Meaux Amiens et Reims).
Pour conclure, il apparaît que plusieurs villae du Haut Empire et habitats rustiques du Bas Empire implantés dans la vallée de l’Ysieux, de Fosses à Luzarches, font partie intégrante du plus grand complexe de production meulière actuellement connu en Ile-de-France. Ils se sont structurés autour d’une fabrication concertée, avec une mise en valeur de la gestion de l’espace et de la matière première, ici le grès de Fosses, faisant appel à une main d’œuvre qualifiée. Au même titre ayant un souci des débouchés commerciaux, ainsi pour certains d’entre eux, ils se placent au bord de la voie dite Avenue de Beaumont, avec un dispositif particulier de la chaîne opératoire, qui débouche sur l’exploitation des meules terminées, prêtes à l’exportation régionale et extra régionale.